Cet article invite à se questionner sur :
- les objectifs et attentes que nous avons pour nos enfants ;
- ce que nous voulons vraiment en termes d’épanouissement de nos enfants ;
- comment nourrir le développement de leur propre estime ;
- comment éviter de leur faire porter nos propres ambitions ;
- notre responsabilité de vivre l’instant présent ;
et à s’exercer à l’aide de quelques idées concrètes.
L’avenir des enfants : une préoccupation majeure
Depuis la fin du Moyen-âge, les parents essayent de planifier l’avenir de leurs enfants. Ils sont préoccupés par un tas de choses qui ne sont pourtant pas encore arrivées, ils s’en inquiètent et les craignent.
Dans une certaine mesure, ils prennent en otage l’individualité et l’avenir de leurs enfants. Autrefois, c’était une nécessité sociale, mais après la seconde guerre mondiale la sécurité économique et sociale devint une priorité. S’ensuivit une période de prospérité financière et la devise des parents retentit : « Tout ce que nous voulons, c’est que tu sois heureux ! ». Depuis le début du nouveau millénaire, les ambitions sociales des parents ont pris une importance considérable. Il est donc temps de nous poser quelques questions éthiques et fondamentales. Quel rôle joue les enfants dans la vie de leurs parents – et dans la leur ? Les ambitions et les projets des parents sont souvent contradictoires et confus. Cependant, l’impact négatif peut dans une certaine mesure être évité si nous nous concentrons sur nos interactions et sur la vie de nos enfants, ici et maintenant.
Que voulez-vous en tant que parent ?
Souhaitez-vous simplement pour votre enfant qu’il soit heureux ? Vous arrive-t-il souvent de penser à l’éducation et la carrière de votre enfant ? Quelles sont vos craintes les plus grandes ? Comment rêvez-vous l’avenir de votre enfant et dans quelle mesure vos rêves influencent-ils votre enfant ? Quelle importance y a-t-il pour vous à ce que votre enfant devienne une personne compétente et en bonne santé ?
Nous devons garder à l’esprit et reconnaître qu’avoir des enfants est foncièrement un projet égoïste. Nous ne faisons pas des enfants simplement pour le plaisir d’avoir des enfants mais dans l’espoir que leurs vies servent à enrichir les nôtres.
Lorsqu’un enfant vient au monde notre égoïsme, heureusement, diminue et notre intérêt pour lui apporter des soins grandit. En tant que parents, nos attitudes oscilleront entre deux extrêmes : « Tu es mon enfant et c’est moi qui décide ! » et « Mon enfant, c’est ma vie ! » Entre les deux, il existe quantité d’attitudes plus équilibrées.
Quel que soit votre enfant, quels que soient les rêves qui vous font vivre et les soucis qui vous préoccupent, il y a beaucoup de choses que vous pouvez faire justes et encore plus pour lesquelles vous pouvez vous tromper. Il y a toutefois un objectif général à nos interactions avec les enfants, qui est valable aussi bien à la maison que dans les institutions : la plupart des parents espèrent que leurs enfants, lorsqu’ils auront 20 ans, seront en bonne santé physique, auront un bon niveau de compétences psychosociales, ce qui leur permettra d’être pleinement eux-mêmes et d’avoir des relations saines avec les autres.
Cet objectif concerne de façon toute aussi importante les enfants qui sont nés en bonne santé, robustes, que ceux atteints d’une maladie chronique ou d’un handicap, aussi bien ceux nés dans des conditions favorables que ceux nés dans la pauvreté, en fait, quelles que soient les circonstances. Être en mesure d’apprendre à l’école et de la vie elle-même – en dépend largement. Il n’y a pas meilleur système immunitaire pour faire face aux dangers et risques de toutes sortes auxquels l’avenir pourrait les exposer. C’est le meilleur moyen de prévenir la toxicomanie, la maltraitance, la violence, les troubles alimentaires, etc. C’est également bien plus efficace que de poser des limites, des règles, que de punir, de donner des leçons de morale, de porter un jugement ou que toute autre méthode qui, comme nous le supposons traditionnellement, serait préventive.
Cet objectif est, de manière générale, encore loin d’être atteint. À bien des égards, les adultes et les enfants s’en sortent beaucoup mieux aujourd’hui que jamais auparavant. Cependant, du point de vue de la santé psychologique et sociale comme de nos compétences générales de vie, la plupart de nos efforts ont été vains. Les statistiques sont éloquentes. La maltraitance et la dépendance sont à la hausse, de même que le nombre d’enfants, de jeunes et d’adultes qui suivent un traitement psychiatrique. La consommation d’antidépresseurs, de somnifères et autres produits visant au bien-être psychosomatique atteint des niveaux catastrophiques. Ajouter à cela le fait que nos services sociaux et de santé sont de plus en plus coûteux – bien que souvent moins efficaces ; le rêve d’un état providence garant de notre santé et de la qualité de notre vie a tourné au cauchemar. La seule solution viable, c’est la responsabilité personnelle.
Que puis-je faire ?
Le système immunitaire optimal mentionné ci-dessus est constitué des composants suivants :
1 – Avoir de soi une image saine et ressentir que nous sommes précieux pour les gens que nous aimons. Sentir que nous sommes dignes d’être aimés et suffisamment bien tels que nous sommes ici et maintenant.
2 – Avoir la possibilité de vivre pleinement et de profiter au maximum de notre potentiel intellectuellement, émotionnellement et physiquement. Cela renforce la confiance en soi.
Ces qualités se développent avant tout au sein de la famille. Dans les institutions scolaires on a plutôt tendance à se concentrer sur l’avenir ; il serait pourtant bénéfique de mettre davantage l’accent sur l’instant présent car cela permettrait d’améliorer l’apprentissage chez les enfants. Malgré cela, l’école insiste traditionnellement sur le développement de nouvelles compétences.
De nos jours, les parents essaient de copier les techniques utilisées par les enseignants. Ils font appel à des stimulations externes, même pendant les temps libres, quand les enfants devraient pouvoir jouer et être créatifs. C’est un grave problème pour les enfants. En effet, les parents cherchent à les divertir continûment par le biais de la télévision, du cinéma ou d’autres activités éducatives.
En conséquence, les enfants sont assurément trop stimulés par des divertissements externes. Ils n’ont pas appris à se connaître et ne savent donc pas comment trouver la porte d’entrée de leur for intérieur – la source vivante de la véritable créativité. Beaucoup d’adultes ayant le même problème, cela crée un surplus de stress bien inutile, source lui de problèmes psychosomatiques et de « problèmes de comportement ».
Si les parents, de surcroît, ont de grandes ambitions – c’est-à-dire se concentrent sur l’avenir – deux choses se produiront alors :
1. La première conséquence sera un niveau de stress élevé. Les enfants peuvent faire face à beaucoup plus de stress que les adultes, mais seulement s’ils ont aussi appris à se détendre – à déstresser. Cela nécessite de l’expérience et la capacité de prêter attention à ce qui se passe en notre for intérieur. Aujourd’hui, on appelle cela la « pleine conscience ».
2. La deuxième conséquence est tout aussi importante pour leur santé que pour le développement de leur système immunitaire psychosomatique. « Quand les adultes qui m’entourent semblent se préoccuper en permanence de la prochaine étape de mon développement, alors je ne me sens pas accepté tel que je suis en ce moment ! » Cela empêche le développement d’une estime de soi saine. C’est évidemment beaucoup plus important pour le système immunitaire que la confiance en soi qui s’acquiert par l’apprentissage de compétences. Et c’est tout particulièrement important pour les enfants qui se sentent différents – quelle qu’en soit la raison.
Cela signifie que les ambitions et les objectifs des parents pour leurs enfants sont la plupart du temps directement responsables du fait qu’ils ne seront jamais atteints. Demandez à n’importe quel-le sportif-ve d’élite, artiste, directeur-trice général-e de plus de 45 ans, si la confiance qu’ils ont en eux-mêmes et le prestige lié à leur statut ont enrichi leur vie, leur manière d’être parent ou partenaire. La réponse est un « Non ! » retentissant. Il n’est pas surprenant que règne une certaine confusion chez les parents car les messages et les conseils divulgués par les experts sont nombreux et souvent contradictoires. Un jour, c’est l’école et l’éducation qui sont très importantes. Le lendemain, c’est la nutrition, puis ce sont le sport, les règles concernant l’alcool, ainsi de suite.
C’est d’ailleurs vraiment un problème que le monde soit rempli de prétendus experts qui savent beaucoup sur très peu de choses. Un autre problème tout aussi important, c’est que nos représentants politiques, ou plutôt les différents ministères, ne communiquent pas ou ne font pas l’effort de coordonner leurs messages ni ne considèrent l’impact que les uns peuvent avoir sur les autres.
Imaginons un instant que les différents ministères (en charge de la nutrition, de la santé, des enfants, de la famille, de l’éducation, etc.) se mettent ensemble au travail, ils se rendraient rapidement compte qu’il n’existe aucun moyen de contrôler la qualité de leurs dépenses.
Les messages qu’ils communiquent détruisent la créativité, la joie et la santé globale de nombreux enfants. Comme si cela ne suffisait pas, ils sont également à l’origine d’une certaine quantité de nervosité et de stress dans de nombreuses familles avec des conséquences graves pour chacun des membres. Dans aucun des pays à travers le monde où le Familylab est actif, nous n’avons encore rencontré un gouvernement où ce type de coopération existe. Cela a un coût beaucoup trop élevé pour nous tous.
En fin de compte, il revient toujours aux parents de créer l’unité dans la vie de leurs enfants.
Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose, mais il serait préférable que les représentants politiques et les fonctionnaires responsables les soutiennent un tant soit peu.
Peu importe à qui nous demandons, que ce soit des spécialistes en neurosciences, des scientifiques qui s’intéressent à la santé et au bien-être, aux sciences humaines, à la pédagogie ou à la psychologie du développement, tous s’accordent à dire :
« La meilleure façon de garantir une qualité de vie, c’est de vivre ici et maintenant. »
Il n’y a rien de mal à se fixer des objectifs ou à vouloir réaliser ses rêves, mais, sans la possibilité de repos qu’offre à l’esprit, à l’âme et au corps, le fait de vivre dans l’instant présent, très vite les choses tournent mal. Les performances les plus extraordinaires demandent que l’on soit concentré sur ce qui se passe ici et maintenant, de la même manière que les bonnes relations personnelles exigent une capacité d’attention et de présence.
Des idées concrètes
De nos jours, il y a une tendance à trop vouloir « éduquer » les enfants. Conséquence évidente, l’éducation a de moins en moins d’impact et de sens – et devient même contre-productive. Une fois de plus, les enfants sont devenus l’objet au travers duquel les parents essaient de se donner et de donner aux autres une image positive. Environ 50% des enfants se soumettent aux besoins de leurs parents tandis que l’autre moitié conteste cela du mieux qu’ils peuvent. Le nombre d’enfants présentant des « colères injustifiées » ou le « syndrome oppositionnel » ne cesse d’augmenter.
Pourquoi certains enfants s’opposent-ils et se mettent en colère ? Parce que les adultes leur disent :
« Si ce n’était pas pour nous, tes parents, tu ne deviendrais jamais une bonne personne ! ».
Fondamentalement, c’est affirmer un réel manque de confiance quant à la capacité naturelle et le désir des enfants de coopérer, et tenter une fois de plus de contrôler leur avenir. La plupart des adultes ne portent encore aucun intérêt particulier à ce que pensent et ressentent les enfants, ni à la manière dont ils le font. Ils se préoccupent bien plus de ce que les enfants devraient penser et ressentir, et comment ils devraient le faire. Lorsque cela s’accompagne de louanges et de déclarations d’amour verbales, l’estime de soi des enfants en pâtit. Pour nombre d’entre eux se forge ainsi l’idée qu’ils sont incapables.
La solution est aussi simple que compliquée.
1. Passez du temps avec votre enfant – de préférence sans aucun de ces « jouets éducatifs ». Vous n’avez pas besoin de dire quoi que ce soit. Asseyez-vous tranquillement, observez votre enfant et vous apprendrez quelque chose de nouveau le concernant. Ne lui donnez pas de leçons et ne cherchez pas à l’éduquer – soyez tout simplement vous-même et reconnaissez-le tel qu’il est. Vous verrez alors un nouveau monde s’ouvrir à vos yeux.
2. Quand votre enfant dit : « Je m’ennuiiiiie ! », ne vous inquiétez pas. Il n’y a aucune raison ni de se sentir coupable ni de présenter un catalogue d’options et d’idées qui de toute façon seront rejetées. Souriez amicalement à votre enfant et dîtes-lui : « Félicitations, mon cher ! Je suis curieux de voir ce que tu vas faire maintenant. » L’ennui dure rarement plus de 20 minutes – c’est le temps qu’il faut à une personne pour cesser de s’appuyer sur des stimuli externes et de renouer avec soi-même et sa propre créativité. Essayez de donner l’exemple : quand vous vous sentez agité-e intérieurement – c’est ce que les enfants appellent « l’ennui », éteignez vos téléphone(s) portable(s), ordinateur(s) et poste(s) de télévision, et regardez ce qui se passe.
3. Quand vous mettez votre enfant au lit et que vous avez la possibilité de passer quelques minutes tranquilles ensemble, parlez lui de votre journée. Ne lui demandez pas de raconter la sienne – il le fera automatiquement. Lorsque vous jouez avec votre enfant, laissez-lui faire preuve d’initiative au lieu de diriger vous-même l’activité.
4. Il n’y a aucune raison d’avoir peur du silence ou des pauses – les deux sont bons pour l’atmosphère. Essayez d’être moins responsable, ce qui signifie : moins hyper-responsable. Ce qui vous semble généralement être une de vos responsabilités de parent fait souvent obstacle à un réel contact entre vous et l’enfant. Si vous souhaitez développer une relation personnelle, il vous faudra vous montrer tel que vous êtes et être vulnérable.
Chaque minute, chaque heure durant laquelle vous serez capable d’interagir avec votre enfant de cette manière renforcera son système immunitaire psychosomatique. Vous n’aurez, par conséquent, pas besoin de vous inquiéter de l’avenir parce que vous serez en train de construire une relation forte et saine entre vous deux. Cela vous fera du bien à tous les deux, bien plus que n’importe quel type de mesure préventive qui vous viendrait en tête.
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© Jesper Juul, Familylab International
Titre original anglais : Your child’s future is right now!
Traduction : David Dutarte