Cet article invite à se questionner sur :

  • le regard que nous portons sur la manière dont les enfants grandissent et veulent faire les choses par eux-mêmes ;
  • sur la volonté des enfants d’apprendre et leur soif d’autonomie ;
  • sur les différentes manières, lâcher le contrôle ou lutter pour le pouvoir, que nous avons de réagir à leurs erreurs tout au long du chemin.
Jesper Juul

Existe-t-il une phase d'opposition ?

Opposition ou soif d’autonomie ?

À l’âge d’environ 2 ans, les enfants commencent à exprimer un désir nouveau – la soif et l’envie d’une plus grande autonomie et indépendance vis-à-vis de leurs parents. En Europe, nous appelons habituellement cette période (qui dure en fait les dix-huit années suivantes !) la « phase d’opposition ». Aux États-Unis, c’est ce qu’on appelle fréquemment « the terrible twos » [trad. litt. la période terrible des 2 ans]. Ces deux noms sont probablement issus d’une vieille tradition qu’ont les adultes à expliquer tout conflit par quelque chose qui se passe chez l’enfant. Aujourd’hui, nous savons que ce n’est pas si simple que cela ; il est question du développement de l’enfant, de la capacité et de la volonté des parents de suivre et d’accompagner ce développement, et de la qualité de leurs interactions au cours des deux premières années de l’enfant.

Chez l’enfant, il se passe, tout simplement qu’il commence à vouloir faire beaucoup de choses lui-même : se brosser les dents, lacer ses lacets, mettre ses bottes en caoutchouc, prendre de la nourriture dans le réfrigérateur, mettre son manteau, et ainsi de suite. Pour les parents, il arrive parfois qu’ils aient des difficultés à s’adapter.

Lâcher le contrôle ou lutter pour le pouvoir ?

Durant deux années, ils ont dû aider l’enfant pour tout, ce qui est un fardeau mais procure aussi le sentiment immense d’être précieux pour une autre personne – tout savoir mieux et être irremplaçable. Pour certains parents, le développement de l’enfant est un soulagement tandis qu’il est, pour d’autres, difficile d’abandonner le pouvoir total dont ils ont disposé jusque là. Ce qui se passe entre l’enfant et les parents dépend entièrement de la capacité des parents à s’adapter. Si les parents sont réticents à abandonner le contrôle total et ne peuvent se réjouir du désir de leur enfant de se débrouiller seul, alors s’installe une lutte pour le pouvoir :

– Je veux prendre à manger tout seul !

– Tu n’y arrives pas. Tu vas tout renverser sur la table. Laisse-moi faire maintenant.

– Non, je veux faire tout seul.

– Laisse, je le fais… Et voilà ! Maintenant, tu m’as fait renverser. Je t’ai dit que tu étais trop petit.

Le père ou la mère ont probablement raison. Il y a 50% de risques que l’enfant ne parvienne pas à maintenir sa cuillère en équilibre entre la casserole et son assiette, et donc renverse le contenu sur la table. Mais l’interaction avec les enfants n’a rien à voir avec le fait d’avoir raison. Il s’agit de faire aux enfants une place, de leur donner la possibilité et le soutien nécessaires à l’apprentissage de tout ce qu’ils vont devoir maîtriser en l’espace de quelques années. Par conséquent, les parents doivent donner à leurs enfants la possibilité de faire des choses qu’ils ne maîtrisent pas encore et attendre pour leur offrir de l’aide qu’ils en fassent eux-mêmes la demande.

Apprendre et encore apprendre…

Les enfants sont presque brillants quand il s’agit d’apprendre. Ils essaient constamment de faire des choses qui sont légèrement plus difficiles que ce qu’ils peuvent faire en réalité. C’est (bien) plus tard au cours de leur vie qu’ils apprendront à reconnaître et à respecter leurs propres limites – mais alors, ils auront depuis longtemps quitté la maison familiale.

Quand un enfant annonce tout à coup qu’il veut faire quelque chose seul, la meilleure chose à faire est de l’encourager et de lui offrir de l’aide, s’il estime en avoir besoin.

– Je veux mettre tout seul dans mon assiette !

– Super ! Je suis curieux de voir si tu y arrives.

Et quand il renverse :

– Mince, tu y étais presque. Tu veux que je t’aide ?

– Non, je peux y arriver tout seul !

– Oui, je vois en tout cas que tu es en bonne voie pour apprendre.

Quand il s’agit de bottes à mettre ou d’une veste à enfiler avant d’aller à l’école ou pour aller faire les courses, de nombreux parents justifient leur « amabilité » par le manque de temps pour expérimenter : « Nous devons attraper le bus ! » ou « Papa doit être au travail à temps ! »

Je regrette de devoir le dire, mais c’est une mauvaise excuse. Si vous n’avez pas le temps de laisser votre enfant se développer, alors il va vous falloir désormais en trouver davantage. Imaginez une situation similaire où votre enfant maintenant âgé de huit ans, est à son bureau et peine à faire ses devoirs.

– J’aime pas les maths ! Je comprends rien du tout.

– Mais si, tu vas comprendre… mais cela demande du temps d’apprendre quelque chose de nouveau. Essaie un peu d’être patient, sinon, tu n’apprendras jamais rien !

Mais il y a toutefois des situations dans la vie d’une famille où même la planification la plus détaillée sera ruinée par des événements imprévus.

Que faire alors dans ces cas là ? Reconnaître le désir d’apprendre de l’enfant et présenter des excuses pour son propre empressement :

– Oui, je sais que tu préfèrerais le faire tout seul et je m’en réjouis vraiment… Mais aujourd’hui, je suis tellement pressé que tu dois me laisser le faire à ta place. Tu veux bien ?

Neuf fois sur dix, la réponse sera un « D’accord » empreint d’aigreur et de désespoir, mais, il nous faut faire avec lorsqu’on prive d’autonomie une autre personne et qu’on interrompt un important processus d’apprentissage.

En donnant de l’espace pour ces apprentissages fondamentaux, les parents ne perdent ni leur pouvoir ni l’énorme importance qu’ils ont pour l’enfant ; ils obtiennent par contre un peu plus d’espace et de temps pour eux-mêmes et l’un pour l’autre.

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© Jesper Juul, Familylab International

Titre original danois : Findes der en « trodsalder »?

Traduction : David Dutarte


À lire aussi :

« Âge de l’opposition

Autour de deux ans les enfants commencent un peu à se libérer de leur dépendance totale à leurs parents. Ils commencent à vouloir et à pouvoir penser, ressentir et agir de façon autonome. Pas besoin pour les adultes de se demander si cet âge de l’autonomie est bien là. On se lève un beau matin, on commence à les habiller, et ils vous repoussent et disent : « Peux tout seul ! » ou « Veux tout seul ! ». À ce moment là, la plupart des adules s’obstinent et répondent : « Non, tu ne peux pas ! », « Non, arrête maintenant, nous n’avons pas de temps pour tes bêtises » etc. Les enfants deviennent autonomes et les adultes deviennent bornés ! Pendant ces mois de la vie d’un enfant se produit un des exemples les plus significatifs de la façon dont les enfants sont habiles à coopérer. Quand le petit de deux ans cherche à développer une compétence d’autonomie, il est confronté à la mauvaise volonté et à l’obstination des adultes, l’enfant devient alors dans les deux ou trois mois qui suivent soit obstiné – et c’est obstination contre obstination- soit incapable d’initiative et dépendant.

La notion d’âge de l’opposition est un discours typique des puissants à propos de leurs sujets pénibles. Les petits enfants ont pour étape obligée de leur développement de devenir de plus en plus autonomes et débrouillards, et seul un système totalitaire peut avoir intérêt à rendre problématique le développement continu d’une personnalité unique et indépendante. »

Jesper Juul

Extrait de Regarde… ton enfant est compétent

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